C’est au milieu du 19ème siècle, moment de la révolution industrielle, qu’apparaissent dans les grands magasins urbains les premiers mannequins, ces formes humaines en bois, plastique ou résine que nous rencontrons de nos jours derrière les vitrines.

Généralement, la fabrication des mannequins répond à des critères esthétiques codifiés. Leur apparence est façonnée par le regard de la société qui les modèle à son image, selon ses fantasmes. En fonction des époques, des régions, des cultures, la fabrication des mannequins change, leurs courbes se transforment, leurs tailles évoluent, ainsi que leurs silhouettes générales.

La plupart du temps, remarque la photographe Valérie Belin, « la pose des mannequins est neutre, et leur regard absent est comme captivé par une existence intérieure ». C’est également mon ressenti. J’ai cette sensation, en tant que photographe, que les mannequins ont une vie intérieure. Leurs visages figés me donnent l’impression que je rencontre des sujets introvertis, renfermés sur eux-mêmes. Je ressens comme une présence, comme un monde intérieur chez ces modèles en plastique que je croise dans les vitrines. Leur monde caché me retient, m’interpelle. A travers l’objectif de mon appareil, je tente de saisir le mystère de leur existence, un mystère que les mannequins de plastique protègent fermement derrière leurs visages immobiles, et que mon regard tente de percer.

Quand je regarde ces formes humaines, de nombreuses énigmes jaillissent. Y a-t-il un esprit enfermé là-dedans qui regarde de l’intérieur vers l’extérieur ? D’où provient la buée qui s’accumulent sur les vitrines l’hiver ? Parfois, il me semble étrangement que ces statues en plastique respirent, lentement rejetant de la vapeur d’eau contre les fenêtres. A d’autres moments, devant certaines devantures de magasins mal lavées, hors du temps, je surprends les yeux des mannequins qui de l’intérieur fixent obstinément les piétons à l’extérieur sur les trottoirs. Je me place sur le côté et prends une photo…

Christian Barbé
Avril 2020